Association des Écoles d’Études Politiques du Conseil de l’Europe

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« Comprendre le Printemps arabe et son impact »

Rencontre régionale des Ecoles d’études politiques d’Afrique du Nord et d’Afrique centrale lors du Forum mondial de la démocratie,
27-29 novembre 2013


Des participants des Ecoles d’études politiques du Maroc et de Tunisie ainsi qu’une délégation d’Etats membres de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) assistent à la réunion. Après une introduction par M. Jean-Pierre Filiu, Professeur des universités en étude du Moyen-Orient à Sciences Po, Ecole des affaires internationales (PSIA), Paris, les deux Ecoles sont brièvement présentées par leurs directeurs, M. Youssef Laaraj (Maroc) et M. Ahmed Driss (Tunisie).

L’objectif de cette rencontre est de resserrer les liens entre ces Ecoles par la mise en commun d’informations concernant les activités mises en œuvre et les leçons pratiques à tirer de leurs expériences.

Les deux Ecoles ont été fondées au lendemain des événements connus sous le nom de « Printemps arabe » qui se sont déroulés en Afrique du Nord. Elles se sont activement attelées à l’accomplissement de leur mission, qui consiste à accompagner et à préparer de jeunes responsables politiques, en développant et en renforçant leurs compétences afin qu’ils s’impliquent pleinement dans la vie politique, qu’ils prennent conscience de leur rôle dans la société et de leur responsabilité dans la construction d’un système politique et social plus démocratique, et qu’ils encouragent une nouvelle culture démocratique dans leur pays.

Ces deux pays ont traversé des épreuves différentes. En effet, la Tunisie a connu une révolution populaire qui a causé la chute du régime en place. Les changements qui ont lieu au Maroc tiennent davantage de l’évolution et sont au moins en partie inspirés par la monarchie. Toutes les réformes politiques sont issues d’aspirations populaires légitimes et visent à transformer le pays et la société, pour y développer la démocratie, la justice et le respect des droits du peuple.

Avant de céder la parole aux participants, M. Filiu leur fait deux observations. Tout d’abord, il explique que les mouvements actuels sont les héritiers du mouvement Al-Nahda initié au XIXe siècle, la « renaissance » du peuple arabe, qui a lutté pour un renouveau culturel et pour se réapproprier sa propre histoire face à toutes les formes d’ingérence coloniale. Dans ce contexte, M. Filiu attire l’attention des participants sur le niveau très avancé des réflexions portant sur les questions constitutionnelles. Ensuite, il fait observer que l’aspect intergénérationnel de ce mouvement était souvent mal interprété ou diabolisé. Il souligne notamment la relation entre les transitions démocratique et démographique, qui ont permis au monde arabe de comprendre en 40 ans ce que l’Europe avait mis deux siècles à accomplir.

L’Europe est citée comme une bonne référence, mais les participants mettent en avant qu’elle ne comprend pas vraiment ce dont leurs sociétés ont besoin. Tout en gardant à l’esprit les différences entre les pays – chaque révolution a son propre cadre, sa propre logique et ses particularités – on peut noter des similitudes dans tout le monde arabe. La révolution tunisienne a été embrassée principalement par des citoyens en quête de démocratie, pour bâtir un nouveau pays prospère et une nouvelle société évoluée. Mais, trois ans plus tard, ils constatent que la vie politique a considérablement changé et qu’elle se dégrade aujourd’hui. La transition démocratique ne semble pas connaître le succès escompté. La liberté d’expression est certes plus respectée aujourd’hui, mais il y a encore des cas d’assassinats politiques, que la population découvre avec stupeur. Les élections de 2011 n’ont pas apporté de changement profond de la situation politique. Ainsi, la Tunisie s’est retrouvée sans constitution après le 23 octobre 2012. La scène politique est monopolisée par des partis n’ayant aucun projet durable pour la Tunisie ou pour sa société. On observe un profond sentiment de tromperie, de déception et d’insécurité, en particulier parmi les jeunes et les femmes, qui rencontrent des difficultés à s’intégrer dans la vie politique.

La situation économique semble déterminante dans la transformation de la politique. L’Etat s’affaiblit et on déplore un taux de chômage très élevé et une stagnation de l’économie. L’absence de reprise économique pourrait compromettre tout changement politique à l’avenir.

La situation du Maroc a évolué depuis l’adoption d’une nouvelle Constitution. Mais la population est déçue par la lenteur des réformes, par l’insécurité de la région et par le tour essentiellement conservateur que ces réformes sont en train de prendre. De nombreux projets politiques semblent être autant de pas en arrière, souvent soutenus par de riches pays arabes désireux d’instituer les règles islamiques dans le pays.

Les sociétés des pays du Maghreb sont en perpétuelle évolution, et ce depuis de nombreuses années. Le « printemps populaire » fait partie des séries d’événements ayant contribué au lancement d’un mouvement politique démocratique. Au Maroc, il a permis de poser des bases pour davantage de réformes gouvernementales. La création de « l’instance équité et réconciliation » a en outre renforcé le processus de transition politique vers la démocratie. Un des succès les plus remarquables est la révision du statut des femmes, confirmée par le code de la famille « Moudawana ». Le mouvement du 20 février se place dans la continuité de ces changements, et a mené à l’adoption d’une nouvelle constitution en 2011. Un progrès politique et social important se met en place, mais l’application réelle des dispositions qui en découlent reste un défi majeur. Ce progrès concerne aussi la nouvelle réglementation. La construction d’une société participative reste un objectif à atteindre, et certaines forces, notamment les islamistes, cherchent à empêcher sa progression.

En conclusion, M. Filiu fait remarquer qu’il est important de comprendre comment les mouvements actuels sont les héritiers d’une longue tradition de mobilisation et de construction d’une mémoire collective. Les résultats de la « révolution fraîche et joyeuse » apportent certainement leur lot de tromperies. Ces révolutions ont besoin de temps. La plus grande réussite de ces pays réside dans leur structure sociale et leurs attentes collectives qui sous-tendent les actions que la superstructure politique peut mener. Il y a une question d’ingénierie politique à laquelle les participants des Ecoles d’études politiques peuvent contribuer. On constate de nouvelles divisions entre les mouvements qui ne correspondent pas à l’opposition « droite – gauche » traditionnelle et à ses aspirations contradictoires. En effet, il est plus important de s’intéresser aux mouvements visant à refonder l’Etat ainsi qu’à protéger les droits de l’homme et le droit à la sécurité des personnes et de leurs biens. La crise économique n’arrange pas la situation et les attentes en matière de prospérité ne sont pas satisfaites. Ce fossé ne peut pas être comblé par les seules révisions constitutionnelles. La question de l’application des mesures est décisive, c’est pourquoi les Ecoles d’études politiques peuvent avoir à jouer un rôle prépondérant dans les pays qui traversent une période de transition et peuvent aider à bâtir des sociétés plus démocratiques et participatives.
 

 
 
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